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Projet de loi Pacte : l’entreprise objet de toutes les attentions

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26/06/2018
Présenté le 18 juin en Conseil des ministres, le projet de loi qui traduit le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) du gouvernement, contient des mesures très diverses, qui ressemblent à un inventaire à la Prévert. Morceaux choisis.
Ce projet de loi, qui s’adresse aux salariés comme aux entrepreneurs, doit permettre la transformation économique du pays. Selon une évaluation de la Direction du Trésor, le Pacte devrait doper l’économie française de 0,32 point de PIB à l’horizon 2025, et d’un point de PIB à long terme. Pour ce faire, il prévoit de relever deux défis :
– lever les obstacles à la croissance des entreprises à toutes les étapes de leur développement, de leur création à leur transmission, en passant par leur financement ;
– replacer les entreprises au centre de la société, en renforçant la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans leur stratégie et leur activité (par la modification du Code civil et du Code de commerce) et en associant mieux les salariés aux résultats (grâce aux dispositifs d'intéressement et de participation). En outre, le rôle de l'État actionnaire sera refondé pour investir dans l’avenir du pays.

Parmi les multiples dispositions que contient ce texte, qui sera examiné par le Parlement à partir de septembre prochain, nous avons sélectionné un panel de mesures.

Des formalités allégées et des coûts réduits pour les entreprises

Un guichet unique électronique pour la création d’entreprise. – Le projet de loi substitue aux sept réseaux de centres de formalités des entreprises (CFA), qui comptent quelque 1 400 centres, un unique guichet électronique chargé de recevoir les déclarations de création, de modification et de cessation d’activité ainsi que les documents nécessaires à l’immatriculation des entreprises sur les registres qui les concernent. La création d’entreprise pourra donc se faire en quelques clics, sur une plateforme unique, quelles que soient son activité et sa forme juridique.

La transition vers cette plateforme unique se fera progressivement d’ici à 2021, le temps pour les réseaux de CFA de s’adapter.

Création d’un registre général des entreprises. – Le gouvernement souhaite créer par voie d’ordonnance un registre général dématérialisé assurant la centralisation et la diffusion des informations relatives aux entreprises. Il regroupera les informations contenues dans le registre national du commerce et des sociétés, au répertoire national des métiers et au registre des actifs agricoles. Si l’avis du Conseil d’État laisse entendre que ce registre « n’a pas vocation à se substituer à l’ensemble des registres et répertoires existants », le projet de loi indique pourtant qu’il s’y substituera.

Sa mise en place sera alignée sur celle du guichet unique pour la création d’entreprise, soit à l’horizon 2021.

Réforme des publications d'annonces légales. – Désormais les services de presse en ligne pourront être habilités à publier les annonces judiciaires et légales, une habilitation aujourd’hui réservée aux publications de presse imprimées. Les publications habilitées, qu’elles soient imprimées ou numériques, ne pourront consacrer plus de 50 % de leur contenu à la publicité ou aux annonces.

Une tarification au forfait sera également instaurée pour les annonces relatives à la création d’entreprise, ainsi que pour les autres types d’annonces relatives à la vie des entreprises, chaque fois que cela sera possible. Cette tarification forfaitaire diminuera progressivement sur une période de cinq ans afin de prendre en compte les économies rendues possibles par la numérisation, tout en laissant le temps aux éditeurs de presse d’adapter leur modèle économique.

Relèvement des seuils de certification légale des comptes. – Le projet de loi prévoit de relever les seuils à partir desquelles une entreprise est soumise à l’obligation de désigner un commissaire aux comptes au niveau des seuils européens (Dir. PE et Cons. UE n° 2013/34/UE, 26 juin 2013), afin d’alléger les contraintes légales et les charges qui pèsent sur les petites entreprises (coût moyen actuel de la certification des comptes pour les entreprises situées sous les seuils européens : 5 500 euros).

Même si le Conseil d’État note que cette mesure est susceptible de réduire d’environ 25 % le marché du contrôle légal, au détriment, principalement, de ceux des commissaires aux comptes dont les entreprises qui ne seraient plus soumises à l’obligation de certification constituent la majeure partie de la clientèle, il estime qu’elle n’emporte ni rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ni, s’agissant de la clientèle des commissaires aux comptes affectés, d’atteinte disproportionnée au droit au respect des biens. Au demeurant, il précise que la suppression de l’obligation n’implique pas nécessairement que, dans tous les cas, les entreprises concernées cesseront de faire certifier leurs comptes.

Le gouvernement, conscient de l’inquiétude que suscite cette réforme au sein des commissaires aux compte (voir notre actualité du 17/05/18 : Les commissaires aux comptes dans la rue, inquiets pour leur avenir), a prévu un étalement de la mesure sur six ans, au fur et à mesure de l’expiration des mandats en cours. Il a en outre mis en place une mission chargée de réfléchir à l’avenir de cette profession, afin de présenter un plan d’action dans le courant de l’été.
 
Des salariés mieux récompensés, une entreprise plus responsable

Harmonisation des seuils d’effectifs, simplification du recours à l’épargne salariale et des règles encadrant l’épargne retraite, développement de l’actionnariat salarié dans les entreprises privées et les entreprises à capitaux publics sont au nombre des mesures destinées aux salariés, afin que leur travail soit mieux récompensé (voir notre actualité du 19/06/18 : Le projet de loi Pacte passe l’étape du Conseil des ministres).

En outre, le Code civil et le Code de commerce seront modifiés afin de consacrer la notion jurisprudentielle d'intérêt social et d’ouvrir la possibilité pour les sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts.

Anticiper et mieux gérer les difficultés

Réforme du droit des sûretés.  Le projet de loi habilite le gouvernement à réformer par voie d’ordonnance le droit des sûretés : l’objectif est de le clarifier et de le simplifier, afin qu’il soit plus efficace et facilite le financement de l’activité économique.

Les sûretés inutiles seront supprimées. Les règles de publicité des différentes sûretés mobilières seront harmonisées pour remédier à la multiplicité actuelle des registres. Les textes de la réforme de 2006 qui soulèvent des difficultés d’application seront précisés. Enfin, l’efficacité de certaines sûretés sera renforcée. L’équilibre entre l’intérêt des créanciers et la capacité de rebond des débiteurs sera garanti.

Modification de la publicité du privilège du Trésor.– Le projet de loi prévoit de modifier la durée du délai au terme duquel les comptables publics sont tenus de procéder à l’inscription des créances fiscales et douanières privilégiées, afin que ce privilège soit opposable en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du redevable : à un décompte glissant par périodes de neuf mois est substitué un décompte fixe au terme de chaque semestre civil. Par ailleurs, une nouvelle cause de suspension du délai dont dispose le comptable pour procéder à la formalité d’inscription est prévue, pour le cas où le redevable concerné bénéficie, dans le cadre de la contestation de sa dette fiscale ou douanière, d’un sursis de paiement.

Harmonisation des procédures préventives d’insolvabilité.– Le projet de loi prévoit d’habiliter le gouvernement à transposer la directive européenne « Insolvabilité » (actuellement au stade de proposition de directive : proposition de dir. PE et Cons. UE n° 2016/0359/COD) par voie d’ordonnance. L’objectif est d’harmoniser les procédures préventives d’insolvabilité dans l’Union européenne et d’en améliorer l’efficacité, notamment en introduisant un nouveau mécanisme d’adoption des plans de restructuration (le cross class cram down à la française).
 
Faciliter la transmission des entreprises

Annoncées dans le cadre du projet de loi Pacte, diverses mesures d’ordre fiscal destinées à faciliter la transmission des entreprises devraient vraisemblablement figurer dans le projet de loi de finances pour 2019, afin de respecter l’exclusivité des lois de finances en matière fiscale. Les voici.

Rénover le pacte Dutreil.– Afin de faciliter les transmissions d’entreprise à titre gratuit, y compris les entreprises familiales, le texte prévoit de réformer le pacte Dutreil. D’une part, les cessions de titres entre membres du pacte seront facilitées, dans le respect des conditions d’engagement. D’autre part, les obligations déclaratives qui pèsent chaque année sur les bénéficiaires du pacte seront assouplies.

Encourager la reprise d’entreprise par les salariés (RES).– Pour ce faire, il est prévu de supprimer le seuil minimum de salariés devant détenir les parts de l’entreprise « nouvelle » (seuil fixé aujourd’hui à 15 salariés ou 30 % de l’effectif si celui-ci n’excède pas 50 salariés) pour pouvoir bénéficier d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt sur les sociétés dû par la société reprise au titre de l’exercice précédent.

Afin d’éviter les abus, une exigence minimale de présence du salarié dans l’entreprise sera instaurée. Elle permettra d’éviter notamment les contrats de « complaisance » d’un repreneur qui négocierait un contrat de travail avec le cédant uniquement dans le but de bénéficier du crédit d’impôt. La durée minimale de présence devrait être fixé à deux ans.

Encourager le dispositif de crédit-vendeur. – Un crédit vendeur, lors d’une cession d’entreprise, permet au cédant de proposer au repreneur un prêt personnel pour financer une partie du prix de la reprise. Il est prévu d’élargir les conditions d’éligibilité à l’étalement des impôts et des prélèvements sociaux sur les plus-values de cessions d’entreprise, dans le cadre de ce dispositif., mais pour les seules les entreprises ayant moins de 50 salariés et ayant réalisé un chiffre d’affaires n’excédant pas 10 millions d’euros.

Afin d’éviter les abus et ainsi de s’assurer que la mesure bénéficie bien à des transmissions d’entreprise, la cession devra obligatoirement porter sur la majorité du capital social. Le vendeur devra donc perdre le contrôle de son entreprise.

Encourager l’innovation

Constitution d’un fonds pour l’innovation et l’industrie.  Lancé le 15 janvier dernier par le gouvernement, ce fonds doit permettre de « sanctuariser » 10 milliards d'euros pour investir dans des technologies comme l'intelligence artificielle, la nanoélectronique ou le stockage d'énergie.

Il consiste en un ensemble d’actifs de 10 milliards d'euros dont a été doté l’établissement public Bpifrance. Initialement constitué de 1,6 milliard d'euros en numéraire, issus des cessions d’actifs effectuées au second semestre 2017 (Renault et ENGIE) et de 8,4 milliards d'euros en titres de participations publiques (Thales et EDF), ces titres ont vocation à être progressivement remplacés par les produits des cessions de participations publiques à venir (Groupe ADP, Française des jeux, etc.).

Ces 10 milliards d'euros d’actifs, qui constituent une dotation n’ayant pas vocation à être consommée, généreront un rendement annuel estimé entre 200 et 250 millions qui servira donc au financement de dispositifs de soutien à l’innovation de rupture.

Faciliter le dépôt de brevet.  Tout d’abord, le projet de loi prévoit de créer une demande provisoire de brevet, ainsi qu’une nouvelle procédure d’opposition devant l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Le Conseil d’État estime dans son avis que ces mesures ne nécessitent pas de modifications législatives, mais plutôt des changements réglementaires. Ainsi, il est prévu de créer une demande provisoire de brevet d’une durée limitée à douze mois. Elle constituera une « première marche » d’accès au brevet à la fois simplifiée et à coût réduit pour les PME. La demande de brevet pourra être complétée par la suite, à mesure que l’entreprise avance dans l'instruction du brevet, tout en préservant le bénéfice de l'antériorité. La nouvelle procédure d’opposition aux brevets délivrés devant l’INPI doit quant à elle constituer une alternative plus simple à l’unique recours judiciaire en place aujourd’hui et permettre d’attaquer à moindre coût les brevets de faible qualité, notamment dépourvus d'inventivité.

Ensuite, le projet de loi prévoit de renforcer le certificat d'utilité, en allongeant sa durée de six à dix ans. Il pourra en outre être transformé en demande de brevet si l’invention de l’entreprise nécessite une protection plus forte.

L’entreprise pourra ainsi choisir le titre qui correspond le mieux à sa stratégie, en termes de portée de la protection, de durée d’obtention et de coût.

Élargissement du champ d’expérimentation des véhicules autonomes. –  Le projet de loi prévoit un cadre pour protéger les expérimentations des entreprises. Même s’il est assez limité, puisque qu’il ne concerne que les véhicules autonomes, c’est une approche innovante (sur ce point, voir notre article du 21/06/18 : Véhicule autonome : l’approche sandbox de la loi Pacte).

Création d’un cadre juridique des offres de jetons virtuels (ICO). – Il est ici question de financer la croissance de manière innovante, grâce à l’offre de jetons virtuels (ICO – Initial coin offering). Le projet de loi ouvre la possibilité, pour les émetteurs qui le souhaitent, de solliciter un visa préalable de l’Autorité des marchés financiers (AMF). L’objectif de ce visa : offrir une visibilité aux investisseurs sur le sérieux d’une ICO, prévenir tout abus, mais aussi renforcer l’attractivité de la France (sur ce point, voir notre article du 21/06/18 : Initial coin offering (ICO) : ce que prévoit le projet de loi Pacte).

Le projet de loi contient de nombreuses autres mesures, parmi lesquelles :
– la modernisation de la gouvernance de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) ;
– la modernisation du fonds Eurocroissance afin de renforcer la contribution de l’assurance-vie au financement de l’économie ;
– la modification du cadre juridique des chambres de commerce et d’industrie (CCI) ;
– ou encore la réduction de la durée des soldes… qui débutent demain !
Source : Actualités du droit