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La semaine du droit pénal général

Pénal - Droit pénal général
30/11/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal général, la semaine du 23 novembre 2020.
Responsabilité pénale – personne morale – fusion absorption – transfert
« Il se déduit de l’article 121-1 du Code pénal, interprété à la lumière de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’en cas de fusion absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.
En conséquence, le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En tout état de cause, quelle que soit la date de la fusion ou la nature de la société concernée, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi.

 
A l’issue de l’information judiciaire ouverte après l’incendie, le 28 janvier 2002, de ses entrepôts de stockage d’archives, la société Intradis, par acte du 24 juillet 2017, a été convoquée à l’audience du tribunal correctionnel du 23 novembre 2017, du chef de destruction involontaire de bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.
Le 31 mars 2017, la société Recall France et sa filiale Intradis avaient été absorbées par la société Iron Mountain dans le cadre d’une opération de fusion-absorption.
La société Ebenal, M. A... X..., M. B... Y... et la société Kering, parties civiles, ont fait citer la société Iron Mountain à comparaître à l’audience du 23 novembre 2017. En outre, cette dernière société est intervenue volontairement à la procédure ouverte après information judiciaire.
Par jugement en date du 8 février 2018, le tribunal correctionnel a fixé le montant des consignations à verser par les parties civiles en application de l’article 392-1 du Code de procédure pénale et ordonné un supplément d’information afin de déterminer les circonstances de l’opération de fusion-absorption, et de rechercher tout élément relatif à la procédure en cours, notamment s’agissant de l’infraction de destruction involontaire initialement poursuivie à l’encontre de la société Intradis.
La société Iron Mountain a formé appel de cette décision.
Par ordonnance en date 22 février 2018, le président de la chambre des appels correctionnels a ordonné l’examen immédiat de l’appel.
 
Les moyens posent la question de savoir dans quelles conditions, en cas de fusion-absorption, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis, avant la fusion, par la société absorbée.
Pour répondre à cette question, il importe de déterminer s’il existe un principe général de transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption (paragraphes 15 à 37) et si, le cas échéant, ce principe s’applique immédiatement (paragraphes 38 et 39). Ce n’est qu’en cas de réponse négative à l’une ou l’autre de ces deux sous-questions qu’il sera nécessaire de déterminer si la solution doit être différente en cas de fraude (paragraphes 40 à 42).
Aux termes de l’article 121-1 du Code pénal, nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ce principe, dont l’interprétation doit respecter l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’oppose à ce qu’à la suite d’une opération de fusion-absorption, la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis antérieurement à ladite opération par la société absorbée, dissoute par l’effet de la fusion (Crim., 20 juin 2000, pourvoi n° 99-86.742, Bull. crim. 2000, n° 237 ; Crim., 14 octobre 2003, pourvoi n° 02-86.376, Bull. crim. 2003, n° 189).
La Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence même après que la Cour de justice de l’Union européenne eut dit pour droit que les dispositions de l’article 19§1 de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiées à l’article 105 §1 de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, doivent être interprétées en ce sens qu’une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l’obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions au Code du travail commises par la société absorbée avant la fusion (CJUE, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condições de Trabalho, C-343/13).
Elle a en effet considéré que, d’une part, l’article 121-1 du Code pénal ne pouvait s’interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ne perde son existence juridique par l’effet d’une fusion-absorption, d’autre part, ledit article ne pouvait être écarté comme contraire à la directive du 9 octobre 1978 puisqu’une directive ne peut pas produire un effet direct à l’encontre d’un particulier (Crim., 25 octobre 2016, pourvoi n° 16-80.366, Bull. crim. 2016, n° 275).
Cette interprétation de l’article 121-1 du Code pénal se fonde sur la considération que la fusion, qui entraîne la dissolution de la société absorbée, lui fait perdre sa personnalité juridique et entraîne l’extinction de l’action publique en application de l’article 6 du Code de procédure pénale. La société absorbante, personne morale distincte, ne saurait en conséquence être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée.
Elle repose sur l’assimilation de la situation d’une personne morale dissoute à celle d’une personne physique décédée.
Or, cette approche anthropomorphique de l’opération de fusion-absorption doit être remise en cause car, d’une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée, d’autre part, elle est sans rapport avec la réalité économique.
En effet, selon l’article L.236-3 du Code de commerce, la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n’entraîne pas sa liquidation. De même, le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante et les actionnaires de la première deviennent actionnaires de la seconde. En outre, en application de l’article L.1224-1 du Code du travail, tous les contrats de travail en cours au jour de l’opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l’entreprise.
Il en résulte que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération.
La Cour européenne des droits de l’homme, se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, en déduit que « la société absorbée n’est pas véritablement " autrui " à l’égard de la société absorbante » et juge en conséquence que le prononcé d’une amende civile, à laquelle est applicable le volet pénal de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, à l’encontre d’une société absorbante, pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée, ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines (CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14).
Ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée, de sorte que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas à ce que l’article 121-1 du Code pénal soit désormais interprété comme permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde avant l’opération de fusion-absorption.
L’article 6 du Code de procédure pénale, qui ne prévoit pas expressément l’extinction de l’action publique lors de l’absorption d’une société, ne s’oppose pas non plus à cette interprétation.
Dès lors que la nouvelle interprétation de l’article 121-1 du Code pénal est possible, elle devient nécessaire si elle est la seule à même, en l’état du droit interne, de permettre de tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice du 5 mars 2015, précité.
Il convient en effet de rappeler que les juridictions nationales ont l’obligation d’interpréter le droit interne dans un sens conforme au droit de l’Union, sous la seule réserve que cette interprétation ne les conduise pas à faire produire aux dispositions d’une directive un effet direct à l’encontre d’un particulier (CJCE, arrêt du 26 sept. 1993, Arcaro, C-168/95 ; CJCE, arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a., C-387/02, C-391/02 et C-403/02). Cette limite est respectée lorsque le texte national peut être interprété dans le sens de la directive, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de l’écarter pour donner son plein effet à cette dernière.
Or, dans l’arrêt précité du 5 mars 2015, la Cour de justice de l’Union relève que l’opération de fusion par absorption entraîne de façon automatique non seulement la transmission universelle de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société absorbée à la société absorbante, mais aussi la cessation de l’existence de la société absorbée. Elle en déduit que sans la transmission à la société absorbante de la responsabilité contraventionnelle, cette responsabilité serait éteinte.
Cette juridiction retient qu’une telle extinction serait en contradiction avec la nature même de la fusion par absorption telle que définie à l’article 3 paragraphe 1 de la directive 78/855, dans la mesure où, aux termes de ces dispositions, une telle fusion consiste en un transfert de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante par suite d’une dissolution sans liquidation.
Elle ajoute que cette interprétation répond également à l’objectif posé par la directive de protection des tiers, parmi lesquels figurent les entités qui, à la date de la fusion, ne sont pas encore à qualifier de créanciers ou de porteurs d’autres titres, mais qui peuvent être ainsi qualifiées après cette opération en raison de situations nées avant celle-ci. Tel est le cas de l’Etat membre dont les autorités sont susceptibles d’infliger une sanction pour une infraction commise avant la fusion.
Elle relève encore que, si la transmission d’une telle responsabilité était exclue, une fusion constituerait un moyen pour une société d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises, au détriment de l’État membre concerné ou d’autres intéressés éventuels.
Selon la Cour de justice de l’Union, cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument selon lequel la transmission de la responsabilité contraventionnelle d’une société absorbée moyennant une fusion serait contraire aux intérêts des créanciers et des actionnaires de la société absorbante, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas à même d’évaluer les conséquences économiques et patrimoniales de cette fusion. En effet, d’une part, lesdits créanciers doivent, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, de la directive 78/855, avoir le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière des sociétés qui fusionnent rend cette protection nécessaire, le cas échéant en saisissant l’autorité administrative ou judiciaire compétente pour obtenir de telles garanties. D’autre part les actionnaires de la société absorbante peuvent être protégés, notamment, par l’insertion d’une clause de déclarations et de garanties dans l’accord de fusion. En outre, rien n’empêche la société absorbante de faire effectuer avant la fusion un audit détaillé de la situation économique et juridique de la société à absorber pour obtenir, en plus des documents et des informations disponibles en vertu des dispositions législatives, une vue plus complète des obligations de cette société.
En l’état actuel du droit interne, l’interprétation de l’article 121-1 du Code pénal autorisant le transfert de responsabilité pénale entre la société absorbée et la société absorbante est la seule voie permettant de sanctionner pécuniairement la société absorbante pour des faits commis avant la fusion par la société absorbée.
Il se déduit de ce qui précède qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.
En conséquence, le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
Cependant, cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne peut s’appliquer aux fusions antérieures à la présente décision sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme dont il résulte que tout justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef.
Elle ne s’appliquera, en conséquence, qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au prononcé du présent arrêt et sera donc sans effet dans la présente affaire.
Cependant, le supplément d’information critiqué par les moyens ayant notamment pour objet de mettre à jour une éventuelle fraude, il apparaît nécessaire de déterminer si un régime particulier s’applique dans une telle hypothèse.
A cet égard, il doit être considéré que l’existence d’une fraude à la loi permet au juge de prononcer une sanction pénale à l’encontre de la société absorbante lorsque l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. Cette possibilité est indépendante de la mise en œuvre de la directive du 9 octobre 1978, précitée.
Si la Cour de cassation n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point, sa doctrine, qui ne saurait ainsi constituer un revirement de jurisprudence, n’était pas imprévisible. Elle est donc applicable aux fusions-absorptions conclues avant le présent arrêt.
Il en résulte qu’en ordonnant un supplément d’information dans le but, notamment, de déterminer si l’opération avait été entachée de fraude, la cour d’appel n’a pas méconnu le droit applicable au moment où elle a statué.
En conséquence, les moyens doivent être écartés ».
Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955, P+B+I *
 

*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 30 décembre 2020.
 
 
Source : Actualités du droit