Retour aux articles

Contrebande de produits vétérinaires en provenance de l’Espagne : inopposabilité aux éleveurs français du texte d’incrimination de droit méconnaissant le TFUE

Pénal - Droit pénal spécial
08/11/2019

► En vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, il appartient au juge répressif d’écarter l’application d’un texte d’incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou un texte pris pour l’application de celui-ci ;

il en résulte, d’une part, que des éleveurs poursuivis dans une affaire de «contrebande» de produits vétérinaires n’étaient pas tenus, en présence d’une réglementation non conforme aux articles 34 et 36 du TFUE, de solliciter une autorisation administrative préalable pour l’importation des médicaments vétérinaires considérés, d’autre part, que les obligations en matière de notice, d’étiquetage et de pharmacovigilance étaient inopposables aux éleveurs qui étaient exclus, en méconnaissance du droit de l’Union, de la procédure d’importation parallèle de médicaments vétérinaires.

C’est ainsi que la Chambre criminelle a tranché le litige qui lui était soumis par deux arrêts du 5 novembre 2019, rendu dans une affaire concernant l’importation de produits vétérinaires (Cass. crim., 5 novembre 2019, deux arrêts, n° 18-82.989 et n° 18-80.554, FS-P+B+I).

Résumé des faits. Au cas d’espèce, à la suite de l’inspection d’un élevage de bovins, les services vétérinaires ont découvert des médicaments vétérinaires espagnols, des factures émanant d’une société espagnole, ainsi que des ordonnances établies par un vétérinaire espagnol également inscrit à l’Ordre des vétérinaires français. Les investigations ont révélé que les éleveurs importaient d’Espagne, pour les besoins de leurs propres élevages, des produits vétérinaires espagnols, sans demande d’autorisation d’importation. Ces produits bénéficiaient, dans ce pays, d’une autorisation de mise sur le marché équivalente à celle dont ils bénéficient en France. Les éleveurs passaient commande de ces produits par télécopie, avant de se rendre en Espagne pour les récupérer, un vétérinaire établissant alors une ordonnance, laquelle ne comportait pas toutes les mentions obligatoires et pouvait être présignée ou établie à distance.

Les éleveurs ont alors été poursuivis pour importation de médicaments vétérinaires sans autorisation et importation sans déclaration de marchandises prohibées. Au terme d’une information, le juge d’instruction a renvoyé devant le tribunal trois associations, dont celle des éleveurs solidaires et le vétérinaire, du chef de complicité des délits de transport de marchandises réputées importées en contrebande, importation de médicaments vétérinaires sans autorisation, enregistrement ou certificat et tromperie sur les qualités substantielles d’animaux d’élevage. Les premiers juges ont relaxé les éleveurs, ainsi que les autres prévenus des chefs de tromperie. Ils ont toutefois été déclarés coupables des autres infractions. S’agissant de la condamnation des éleveurs, le ministère public a relevé appel. Pour les autres, l’ensemble des parties à l’exception de l’administration des douanes, et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

L’appel sur la relaxe des éleveurs (n° 18-80.554). Pour infirmer le jugement et déclarer les prévenus coupables d’importation sans autorisation de médicaments vétérinaires, l’arrêt énonce que l’Etat français n’a pas mis en place la procédure simplifiée permettant aux éleveurs de procéder à de telles importations. Il ne peut donc être reproché aux prévenus de n’avoir pas demandé et obtenu une autorisation d’importation parallèle qui ne pouvait que leur être refusée. Toutefois, ils se sont fait délivrer des ordonnances établies sans la moindre vérification ni la moindre connaissance des animaux concernés, en se soustrayant aux obligations relatives à la délivrance de prescriptions médicales sérieuses, à l’étiquetage, aux notices et à la pharmacovigilance prescrites par les diverses dispositions réglementaires transposant la Directive 2001/82/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires et conformes au droit européen. La cour d’appel en conclut que les prévenus se sont délibérément placés en dehors du champ d’application de la réglementation qui régit les importations parallèles, ce qui leur interdit de contester l’élément légal de l’infraction en se prévalant de la carence de l’Etat français au regard du droit européen, de telle sorte que l’infraction est constituée.

L’appel sur la relaxe des associations et du vétérinaire (n° 18-82.989). Pour relaxer, les juges retiennent que l’applicabilité directe des articles 34 et 36 du TFUE, tels qu’interprétés par la CJUE, imposent aux Etats membres de prévoir une procédure d’importation parallèle simplifiée qui n’existe pas en l’état de la réglementation interne et que, sauf à se transformer en établissements pharmaceutiques vétérinaires et obtenir une autorisation d’exploitation, les éleveurs ne peuvent obtenir l’autorisation de réaliser une telle importation. Pour ce qui concerne les dispositions réglementaires en matière d’étiquetage, de notice et de pharmacovigilance, elles ne font peser aucune obligation particulière sur les éleveurs en leur qualité d’utilisateurs des médicaments délivrés et qu’il faudrait adapter la réglementation existante pour définir selon quelles modalités pourrait être atteint l’objectif de sauvegarde de la santé publique, et, pour ce qui concerne le manquement à la délivrance d’ordonnances conformes, il n’est pas inclus dans les éléments constitutifs des délits poursuivis.

Egalement, les juges précisent que la CJUE a retenu que soumettre les éleveurs aux règles applicables aux établissements pharmaceutiques vétérinaires de distribution en gros, en exigeant qu’ils satisfassent à toutes les obligations pesant sur ces établissements constituent une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, injustifiée car excessive au regard de l’objectif poursuivi de protection de la santé publique.

En conséquence, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, il convient d’écarter l’application d’un texte d’incrimination de droit interne qui méconnaît une disposition de droit communautaire issue des traités ou des textes pris pour leur application. Il n’est donc pas possible d’imputer pénalement aux éleveurs une importation sans autorisation, certificat ou enregistrement, alors qu’en infraction avec le droit communautaire, la réglementation nationale leur interdit d’accéder à une telle autorisation. Des pourvois ont été formés par les éleveurs et le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.

Sur l’arrêt déclarant les éleveurs coupables. Reprenant la solution précitée, la Haute juridiction censure l’arrêt. Elle considère qu’en statuant ainsi, alors que les obligations relatives à la délivrance de prescriptions médicales sérieuses, à l’étiquetage, aux notices et à la pharmacovigilance étaient inopposables aux éleveurs qui, en méconnaissance du droit de l’Union, étaient exclus de la procédure d’importation parallèle de médicaments vétérinaires, la cour d’appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus énoncé.

Sur l’arrêt relaxant les associations et le vétérinaire. La Haute juridiction considère qu’il résulte du principe susvisé, d’une part, que les éleveurs n’étaient pas tenus, en présence d’une réglementation non conforme aux articles 34 et 36 du TFUE, de solliciter une autorisation administrative préalable pour l’importation des médicaments vétérinaires considérés, d’autre part, que les obligations en matière de notice, d’étiquetage et de pharmacovigilance étaient inopposables aux éleveurs qui étaient exclus, en méconnaissance du droit de l’Union, de la procédure d’importation parallèle de médicaments vétérinaires.

Source : Actualités du droit