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Thani Mohamed Soilihi, sénateur : "Cette loi comporte de très nombreuses mesures de simplification du Code de commerce, utiles et attendues"

Affaires - Sociétés et groupements
09/07/2019
La proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du Code de commerce a été définitivement adoptée le 10 juillet 2019. Quarante-six articles dont l'objectif est de sécuriser des problématiques précises et concrètes rencontrées par les entreprises. Le point avec le sénateur auteur de cette proposition de loi, Thani Mohamed Soilihi.
Actualités du droit : Le parcours de votre proposition de loi aura été bien long…
Thani Mohamed Soilihi : 
La PPL a été déposée sur le bureau du Sénat le 4 août 2014, en prolongement de mes travaux de rapporteur de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises. Dans le cadre des auditions auxquelles j’avais procédé, les acteurs de la vie économique me présentaient de nombreuses suggestions complémentaires de simplification ou de clarification auxquelles je ne pouvais accéder en l’état, eu égard au fait que l’habilitation se devait et se doit en toutes circonstances d’être la plus concise et la plus circonscrite. Je mettais cependant ces propositions de côté et finissais par en produire une PPL initialement de « simplification, de clarification et d’actualisation du Code de commerce ».

Son ambition, à la suite d’auditions supplémentaires que j’ai menées, était de déterminer des mesures concrètes et utiles de simplification, de clarification ou d’actualisation, sans remettre en cause le sens de la règle de droit et sans omettre de veiller à ce qui relevait ou non du domaine de la loi. Comportant initialement 60 articles, elle était trop "imposante" pour être examinée d’un trait dans l’un des espaces réservés de mon groupe. Compte tenu cependant de l’intérêt suscité par ses dispositions, nombre de ces dernières, à l’initiative du Sénat, mais aussi du gouvernement, ont été incorporées dans divers textes intervenus depuis, principalement :
  • la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « Macron » ;
  • la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 » ;
  • les ordonnances prises pour l’application desdites lois ;
  • la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE » ;
  • plusieurs lois de finances.
Bien qu’examinée par la commission des lois du Sénat dès le 1er juin 2016, laquelle a procédé à quelques ajustements et a ajouté quelques mesures supplémentaires, à l’initiative du Rapporteur André Reichardt, du groupe LR, la PPL ne fut inscrite à l’ordre du jour de la Haute assemblée que le 8 mars 2018, dans un espace réservé au groupe La République en Marche. Adoptée le même jour, elle fut examinée et adoptée avec modifications par les députés en commission des lois le 20 mars 2019 et en séance publique le 27 suivant.

Le 10 juillet 2019, nonobstant quelques sujets de désaccord subsistant entre les deux assemblées, le Rapporteur André Reichardt proposa au Sénat son adoption conforme à la dernière mouture issue de l’Assemblée nationale afin, dit-il, « de ne pas retarder plus encore l’entrée en vigueur de dispositions attendues par nos entreprises ».

En dépit des dispositions introduites dans d’autres textes, à l’initiative du Sénat lui-même ou du Gouvernement, cette PPL comporte encore de très nombreuses mesures de simplification utiles et attendues.
 
ADD : Pouvez-vous revenir sur les nouveautés en matière de fonds de commerce ?
T.M.S. : En matière de fonds de commerce, deux nouveautés sont à souligner. D’une part, les modalités de cession des fonds vont être simplifiées par la suppression des mentions légales obligatoires devant être portées à l’acte sous peine d’annulation possible de la vente. Censé être une protection pour le cessionnaire, ce régime, hérité quasiment à l’identique de la loi du 29 juin 1935 relative au règlement du prix de vente des fonds de commerce, représente un formalisme excessif, crée un risque juridique disproportionné et suscite un contentieux inutile. À l’inverse, la responsabilité d’un cédant de mauvaise foi pourra être engagée.

D’autre part, l’article 5 simplifie et facilite le recours au régime de la location-gérance des fonds de commerce, en supprimant la condition selon laquelle le loueur doit avoir exploité le fonds pendant deux ans, prévue à l’article L. 144-3 du Code de commerce. Auparavant, il existait aussi une condition d’exercice d’une activité commerçante depuis au moins sept ans, qui a été supprimée en 2004. Ces conditions entravent le développement de la location-gérance, sans constituer une réelle garantie pour le locataire, d’autant que l’article L. 144-4 permet déjà de demander au juge la réduction voire la suppression de ce délai de deux ans et que l’article L. 144-5 exonère de ce délai de très nombreuses personnes. D’autres articles du code prévoient également des exonérations dans certains cas particuliers. En tout état de cause, le loueur a la qualité de commerçant, en application de l’article L. 144-2, et la solidarité financière entre loueur et locataire, en vertu de l’article L. 144-7, demeure la protection la plus efficace pour ce dernier. Compte tenu des larges dérogations possibles, cette condition de durée préalable d’exploitation du fonds, si elle peut s’expliquer par l’idée de vérifier que le fonds dispose bien d’une clientèle pérenne, s’avère être en réalité une contrainte inutile.
 
La PPL comportait initialement d’autres mesures de simplification des règles de cessions des fonds de commerce, qui ont été introduites à l’initiative du Sénat dans la loi dite « Macron », qui traitait déjà en partie de ce sujet.
 
ADD : Sur le démembrement de parts sociales, la loi apporte d’utiles précisions sur les droits respectifs du nu-propriétaire et de l’usufruitier. Pouvez-vous nous les présenter ?
T.M.S. : L’article 6 clarifie les règles d’attribution des droits attachés aux parts de société civile ayant fait l’objet d’un démembrement entre usufruitier et nu-propriétaire, car l’état actuel du droit génère un important contentieux, en disposant simplement que le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour décider de l’affectation du bénéfice.

il est désormais prévu que le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent également participer aux délibérations sur les décisions collectives des associés, ce qui est une avancée importante. Il ajoute, hormis le cas de l’affectation des bénéfices, que le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier, ce qui permet au nu-propriétaire de déléguer intégralement son droit de vote à l’usufruitier. Ce dernier cas correspond à une pratique fréquente, qu’il était utile de sécuriser juridiquement.
 
ADD : Quelles sont les nouveautés en matière de société civile ?
T.M.S. : En matière de société civile, tout d’abord l’article 10 simplifie les conditions de remplacement du gérant d’une société civile en cas de vacance, à l’instar de ce qui est prévu dans les sociétés à responsabilité limitée par l’article L. 223-27 du Code de commerce. Il s’agit de permettre à tout associé de convoquer directement une assemblée à cette fin, dans le respect des dispositions légales et statutaires, plutôt que d’avoir à solliciter du tribunal la désignation d’un mandataire chargé de le faire. Cette seconde procédure devient subsidiaire.

Ensuite la loi crée un régime simplifié de fusion de sociétés non commerciales pour tenir compte de l’inexistence dans notre droit de sociétés civiles unipersonnelles : dans le cas où la société absorbante détient au moins 90 % des parts de la société absorbée, sur le modèle de l'article L. 236-11-1 du Code de commerce, la consultation des associés de la société absorbante ne sera pas requise, même si les statuts le prévoient. Toutefois, un ou plusieurs associés de la société absorbante, réunissant au moins 5 % du capital social, pourraient demander en justice la désignation d'un mandataire aux fins de provoquer la consultation des associés.

La PPL prévoit aussi la dématérialisation des formalités de dépôt au registre du commerce et des sociétés en matière de cession de parts de société civile, par analogie avec ce qui existe pour les SARL.

Je souhaite signaler une autre mesure, qui concerne toutes les sociétés et pas seulement les sociétés civiles : la création dans le code civil d'une procédure de régularisation de la prorogation d'une société au-delà de son terme normal en cas d'omission des formalités de prorogation par les associés, dans un objectif de sécurité juridique. Cela répond à des situations très concrètes où des associés de bonne foi oublient de proroger la société, au risque de mettre en péril tous les actes passés. Il appartiendrait au juge de vérifier que cette régularisation a posteriori de la prorogation peut être acceptée.
 
ADD : Et en matière d’augmentation de capital, problématique sur laquelle il semblait y avoir des divergences entre les Chambres ?
T.M.S. : En matière d’augmentation de capital, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont accordés par des rédactions identiques ou proches sur les dispositions des articles 27 et 28 de la PPL. L’article 27 propose de supprimer une obligation formelle inutile, consistant à présenter tous les trois ans à l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires une résolution tendant à réaliser une augmentation de capital réservée aux salariés, dans l'hypothèse où ceux-ci détiennent moins de 3 % du capital. Un tel mécanisme n'incite en rien les sociétés qui ne le souhaitent pas à développer l'actionnariat salarié, de sorte qu'il est inutile. En revanche, n’est pas remise en cause l'obligation de proposer une augmentation de capital réservée aux salariés à chaque fois qu'est présentée une augmentation de capital, cas de figure qui concerne en pratique la plupart des sociétés cotées de façon fréquente. En outre, l'article 27 procède à une clarification rédactionnelle précisant les cas d'exonération de cette seconde obligation.

De portée plus limitée, l'article 28 vise à simplifier les opérations de mise à jour des clauses des statuts relatives au montant du capital social et au nombre des titres qui le composent en cas d'exercice de droits attachés aux valeurs mobilières donnant accès au capital, en permettant à tout membre du directoire ou à un directeur général délégué d'y procéder, et pas seulement au président du directoire ou au directeur général.
 
En revanche, une divergence regrettable persiste sur l’article 29, que l’Assemblée nationale a supprimé, et qui visait à transformer en injonction de faire la nullité absolue prévue en cas de manquement à l'obligation de présenter simultanément une résolution réservant une augmentation de capital aux salariés lorsque doit être discutée une résolution proposant une augmentation de capital. En pratique, cette résolution formelle est très souvent rejetée, de sorte que la nullité paraît excessive.

ADD : Que prévoit précisément la loi en cas de tutelle du gérant ou des mandataires sociaux ? Et pourquoi ne pas avoir étendu ce régime à la curatelle ?
T.M.S. : L'article 14 de la loi prévoit que si une SARL se trouve dépourvue de gérant, pour quelque cause que ce soit, ou si le gérant unique est placé en tutelle, le commissaire aux comptes ou tout associé convoque l'assemblée des associés à seule fin de procéder, le cas échéant, à la révocation du gérant unique et, dans tous les cas, à la désignation d'un ou plusieurs gérants.
L'article L. 223-27 du Code de commerce ne pourvoit actuellement qu'au cas de décès du gérant.

La proposition de loi initiale, de même que le texte adopté par le Sénat en première lecture, prévoyaient que cette nouvelle procédure s'étende au cas où le gérant unique est placé en curatelle

L'Assemblée nationale a supprimé cette référence au placement en curatelle, par l'adoption en séance publique d'un amendement du Gouvernement. Celui-ci a justifié cette suppression par le fait que, à la différence de la tutelle qui est un régime de représentation du majeur protégé, la curatelle est un régime d'assistance, l'atteinte portée à l'exercice des droits d'une personne placée sous curatelle devant donc être individualisée. Le juge peut néanmoins mettre fin aux fonctions de gérant d'une personne placée sous curatelle s'il l'estime opportun, par décision spéciale.

L'article 17 quant à lui prévoit la démission d'office des mandataires sociaux de sociétés anonymes placés en tutelle. Dans un souci de sécurité juridique, il précise également que la nullité de la nomination de mandataires sociaux nommés au-delà de la limite d'âge ou leur démission d'office en raison du dépassement de la limite d'âge ou du placement en tutelle n'entraîne pas la nullité des délibérations auxquelles ils auraient néanmoins pris part. 

La proposition de loi initiale, de même que le texte adopté par le Sénat en première lecture, prévoyaient qu'un mandataire social placé en curatelle soit également réputé démissionnaire d'office.

Pour les mêmes raisons qu'à l'article 14, relatif aux gérants de sociétés à responsabilité limitée, l'Assemblée nationale a supprimé ici la référence aux mandataires sociaux placés en curatelle, par l'adoption en séance publique d'un amendement du Gouvernement.

Le Sénat s’est finalement rangé à cette position d’exclusion de la curatelle de ce nouveau régime.
 
ADD : Comment la loi entend-elle faciliter l’octroi de garanties par une société mère à une filiale ?
T.M.S. : L'article 18 de la loi facilite l'octroi par une société mère de cautions, avals et garanties aux sociétés qu'elle contrôle, en permettant au conseil d'administration ou de surveillance d'autoriser le directeur général ou le directoire à délivrer, sans limite de montant, ces garanties pour assurer les engagements pris par les sociétés contrôlées au sens du II de l'article L. 233-16 du Code de commerce, cette autorisation étant donnée :
–  soit annuellement ;
– soit sans limite de temps, sous réserve que le directeur général ou le directoire rende compte au conseil au moins une fois par an.

Il s’agit là d’une mesure fondamentale de simplification pour les entreprises françaises, en particulier à l’international. Elle était très attendue.
 
ADD : Les votes blancs ou nuls des actionnaires ne seront plus comptabilisés comme vote négatif. Est-ce la fin d’une particularité française ?
T.M.S. : C’est l’une des mesures auxquelles je tenais le plus, compte tenu de son impact en termes d’attractivité de notre droit. L'article 21 initial proposait que les abstentions formulées par les actionnaires dans les assemblées générales ne soient plus comptabilisées comme des votes négatifs, mais soient extraites des suffrages exprimés. Les dispositions actuelles du Code de commerce sont réputées justifiées par une interprétation littérale de l'article 44 de la directive 2012/30/UE du 25 octobre 2012 relative à la protection des intérêts des associés et des tiers en ce qui concerne la constitution de la société anonyme. Or, la législation de la plupart des autres États membres de l'Union européenne, par exemple l'Allemagne, n'inclut pas les abstentions parmi les votes négatifs, sans que la Commission européenne l'ait d'ailleurs contesté. Il s'agit d'une simplification des modalités de calcul des majorités et d'une clarification utile pour les actionnaires, qui peuvent légitimement ne pas vouloir s'exprimer sur une résolution sans pour autant que leur vote soit porté contre elle.

Cet article ne concernait initialement que les abstentions. Les députés ont adopté, en séance publique, un amendement bienvenu de la rapporteure qui étend l'exclusion des voix exprimées aux votes blancs ou nuls, ainsi qu'aux voix des actionnaires n'ayant pas pris part au vote.
 
ADD : La loi facilite le recours à la dématérialisation des AG. Mais prévoit-elle la possibilité de s’y opposer ?
T.M.S. : Dans sa rédaction initiale, l’article 23 de la PPL avait pour objet d'autoriser la dématérialisation de l'assemblée générale ordinaire d'une société anonyme non cotée, sauf clause contraire des statuts ou opposition d'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social. Les délibérations auraient alors eu lieu, soit par visioconférence ou par des moyens de télécommunication permettant l'identification des actionnaires et garantissant leur participation effective, soit par correspondance. 

Par la suite, l'ordonnance n° 2017-747 du 4 mai 2017 a entièrement satisfait cette préoccupation, en créant un nouvel article L. 225-103-1 du Code de commerce, qui dispose que les statuts d'une société anonyme non cotée peuvent prévoir que, sans préjudice de la faculté pour tout actionnaire de voter par correspondance, les assemblées générales extraordinaires et ordinaires se tiennent exclusivement par visioconférence ou par des moyens de télécommunication permettant l'identification des actionnaires, sauf opposition d'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social.

Toutefois, le décret d'application de ces nouvelles dispositions s'est longtemps fait attendre, en raison de la difficulté de déterminer les modalités d'exercice de ce droit d'opposition. Il a finalement été publié le 28 février 2018 (D. n° 2018-14, 28 févr. 2018).
 
Lors de l'examen du texte en séance publique le 8 mars 2018, le Sénat a adopté mon amendement visant à actualiser la rédaction de l'article 23. Il s'agissait de poursuivre l'effort de simplification entrepris par le Gouvernement par voie d'ordonnance, en supprimant le droit d'opposition à la dématérialisation des assemblées générales.
 
Le débat s'est poursuivi à l'Assemblée nationale et les députés ont adopté une position de compromis consistant à ne maintenir le droit d'opposition d'une minorité d'actionnaires qu'en ce qui concerne la dématérialisation des assemblées générales extraordinaires, où sont susceptibles d'être prises les décisions affectant le plus significativement l'activité de la société. 
 
On peut ajouter que l’article 18 bis la PPL ouvre également la possibilité pour le conseil d’administration de délibérer par consultation écrite de ses membres, en complément de la réunion par visioconférence, dans des conditions qui devront être précisées par les statuts.
 
ADD : Quel risque souhaitiez-vous limiter par la réduction des périodes au cours desquelles il est interdit, dans les sociétés cotées, de consentir aux salariés des options donnant droit à souscription d'actions, dites « stock-options » ?
T.M.S. : L'article 30 de la proposition de loi tendait à assouplir le régime des "fenêtres négatives", en réduisant les périodes au cours desquelles il est interdit, dans les sociétés cotées, de consentir aux salariés des options donnant droit à souscription d'actions, dites « stock options ». 

En première lecture, le Sénat avait approuvé le principe d'une réduction des "fenêtres négatives", en considération du fait que le marché intègre aujourd'hui plus rapidement les informations privilégiées une fois publiées.

Les députés n'ont repris qu'en partie les dispositions adoptées par le Sénat.

Il s'agissait de resserrer les périodes concernées, avec des délais harmonisés, de façon à les limiter, conformément à la finalité du dispositif, à celles réellement susceptibles de susciter des conflits d'intérêts pour le conseil d'administration ou le directoire, dans les sociétés cotées comme non cotées. En particulier, l'attribution d'options après la publication d'une information susceptible de peser sur le cours de bourse ne présente guère de risque de délit d'initié en cas d'exercice de l'option.

L'objectif était de limiter les risques d’une rigidité excessive voire inutile du régime des stock options, en l’absence manifeste de risque de conflits d’intérêts.
 
ADD : Pourquoi cet assouplissement de l'interdiction faite aux salariés de sociétés cotées attributaires d'actions gratuites de les revendre au cours de certaines périodes, dites « fenêtres négatives », définies pour prévenir toute opération d'initié ?
T.M.S. : J’ai souhaité restreindre le dispositif d’interdiction, sur la base de critères objectifs, aux seuls salariés susceptibles d'avoir connaissance d'informations de nature à avoir une incidence sur le cours de bourse, dans la mesure où l'objectif recherché est d'éviter les conflits d'intérêts potentiels risquant de donner lieu à des délits d'initié.

En effet, les salariés qui ne sont pas mandataires sociaux n’ont généralement pas accès aux informations privilégiées et il est donc absurde de les astreindre à respecter des périodes d’interdiction qu’ils ne connaissent pas.
 
ADD : Le texte prévoit une distinction entre sociétés cotées/sociétés non cotées quant au régime de rachat d’actions, ainsi qu’un assouplissement de ce dernier pour les sociétés non cotées. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
T.M.S. : L’application respective des articles L. 225-208 et L. 225-209 du Code de commerce, relatifs au régime des rachats d'actions, notamment en vue de l'attribution d'actions gratuites aux salariés, soulève une ambiguïté d'interprétation, que l’article 33 de la PPL vise à lever. Si le second article s'applique, conformément au droit européen, aux sociétés cotées, le régime simplifié prévu par le premier article n'a vocation à s'appliquer qu'aux sociétés non cotées, sans pour autant que cela soit expressément prévu.

Cette incertitude peut conduire des sociétés cotées à recourir au régime simplifié, échappant dès lors aux procédures strictement encadrées et aux obligations d'information auxquelles elles devraient en principe être soumises, destinées à assurer la transparence de l'opération. Dès lors, il s'agit de clarifier le fait que l'article L. 225-208 ne s'applique qu'aux sociétés non cotées, ce qui est cohérent avec la doctrine de l’Autorité des marchés financiers.

Par ailleurs, à l’initiative de la commission des lois du Sénat, des assouplissements et des précisions ont été apportés au régime de rachat d’actions dans les sociétés non cotées. C’est ainsi que le financement du rachat d’actions par les réserves et ses finalités ont été précisés.
 
ADD : Quelles sont les nouveautés en matière d’apport partiel d'actif d'une société à une autre ?
T.M.S. : La PPL prévoit en réalité d’appliquer, avec les adaptations nécessaires, la procédure simplifiée de fusion de sociétés en cas d’apport partiel d’actif d’une société à une autre, lorsque la société qui apporte une partie de son actif détient en permanence la totalité des actions représentant la totalité du capital de la société bénéficiaire de l’apport ou que la société bénéficiaire de l’apport détient en permanence la totalité des actions représentant la totalité du capital de la société qui apporte une partie de son actif. Cette procédure permet de se passer de plusieurs formalités comme pour la fusion simplifiée, dans le cas de liens capitalistiques très forts. Dans ce cas, les assemblées générales des sociétés concernées n'ont pas à statuer sur l’opération, les conseils d'administration n'ont pas à établir le rapport prévu pour informer les actionnaires et il n'y a pas lieu de désigner un commissaire à la fusion pour établir un rapport sur l'opération en vue également d'informer des actionnaires.

Il faut également mentionner l’extension de ce régime simplifié de la fusion de sociétés aux fusions entre sociétés sœurs, détenues par une même société mère, alors que ce régime est aujourd’hui prévu entre mères et filles, car la logique est la même.
 
ADD : Moins de deux mois après l’adoption de la loi PACTE, le droit applicable aux commissaires aux comptes est de nouveau modifié…
T.M.S. : Certes, mais la loi PACTE, lors de l’examen de laquelle une réflexion avait été entreprise pour éventuellement y incorporer ma PPL, a été votée en connaissance de cause de l’imminente adoption de cette dernière.

Certaines dispositions de la PPL ont été reprises dans la loi « Sapin 2 », qui a ratifié l’ordonnance de 2016 assurant la transposition en droit français de la réforme européenne du commissariat aux comptes. Il ne reste dans la PPL que des mesures très ponctuelles, ainsi que la correction d’une malfaçon de la loi « PACTE ». En effet, celle-ci avait prévu, à l’initiative du Sénat, la désignation obligatoire d’un commissaire aux comptes dans les sociétés dont un ou plusieurs actionnaires minoritaires représentant une part importante du capital en font la demande, mais la rédaction de cette mesure, telle que revue par l’Assemblée nationale, ne concernait plus toutes les formes de sociétés commerciales, ce qui était incohérent…

En tout cas, nous en étions d’accord avec le rapporteur, ma PPL n’avait pas pour vocation de "refaire le match" de la réforme du contrôle légal des comptes réalisée dans la loi « PACTE ».
 
La PPL comportait également une importante réforme du régime des actions de préférence, en permettant en particulier leur rachat à l’initiative du seul détenteur des actions. Cette mesure de simplification a été intégrée dans la loi « PACTE ». Elle est de nature à rendre plus attractif ce type d’actions pour des investisseurs et donc à favoriser le développement des PME innovantes.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES et Guillaume CARTERET
Source : Actualités du droit