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PJL Justice : la commission des lois rétablit le texte du Sénat

Civil - Personnes et famille/patrimoine, Procédure civile et voies d'exécution
Pénal - Droit pénal général, Procédure pénale
06/02/2019
Sans surprise, la commission des lois du Sénat a, le 6 février, rétablit presque à l’identique le texte voté par le Sénat en première lecture.
Le 30 janvier 2019, la commission des lois organisait une table ronde avec les représentants des avocats, des magistrats et des fonctionnaires de greffe. Philippe Bas avait alors souligné qu’ « il ne serait pas impossible de retirer le venin de certaines dispositions en procédant à des ajustements ». Et si « la commission mixte paritaire a échoué, et les chances d'aboutir à un compromis ne sont pas très élevées : cela ne nous dissuade pas d'essayer d'apprécier de bonne foi les conditions d'un compromis. Il en va de l'intérêt supérieur de la justice ». « Nous pensons que tout n’est pas perdu », avait alors ajouté le président de la commission des lois.
 
Une approche confortée par François-Noël Buffet, rapporteur au Sénat de ce texte : « Nous ne sommes pas là pour refaire l'ensemble du texte, sur lequel nous avons incontestablement des divergences, mais pour essayer d'apaiser un peu les inquiétudes qui se révèlent dans l'ensemble des professions judiciaires (…). Nous ne sommes pas ici pour renverser la table, mais pour chercher une piste qui permette d'avancer sur certains points ».
 
L’objectif de ces échanges était donc de dégager un certain nombre de points d’équilibre, à même d’être repris par l’Assemblée nationale. « J’espère que nos collègues de l’Assemblée nationale verront la discussion qui a eu lieu cet après-midi », avait ajouté Yves Detraigne, co-rapporteur du projet de loi de programmation pour la justice (Sénat, 30 janv. 2019, VOD).
 
Les griefs exprimés lors de la table ronde
Le projet de loi justice aura au moins réussi un tour de force : mettre d’accord des professionnels et des syndicats parfois en profond désaccord : « C'est très rare que les greffiers, les magistrats, les avocats soient tous d'accord », a tenu à rappeler Philippe Bas. Pendant plus de cinq heures, les professionnels de la justice ont en effet exprimé leurs griefs communs sur ce texte, avant que la garde des Sceaux s’exprime.
 
Une table ronde qui a donc révélé une rare unanimité de ces professionnels, particulièrement autour des cinq problématiques suivantes :
- le champ d’intervention du juge (déjudiciarisation) ;
- la procédure pénale ;
- l’organisation judiciaire ;
- la justice des mineurs ;
- le budget.
 
Quelques extraits des critiques formulées contre ce texte
  • Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des Barreaux : « le Gouvernement veut déjudiciariser pour gérer des stocks, ce qui nous inquiète. Nous souhaitons que chacun conserve un accès au juge » ;
  • Claire Danko, membre du Bureau national du syndicat Unité Magistrats : « Le projet de loi rend obligatoire le recours au médiateur et au conciliateur en deçà d'un certain montant et pour les conflits de voisinage. Or ce texte est entouré d'un véritable flou artistique, parce qu'une grande partie des mesures seront détaillées au niveau réglementaire » ;
  • Christiane Féral-Schuhl, « La méthode combine deux procédés dangereux : expérimentation et renvoi aux ordonnances (…) ce qui donne un effet iceberg : on ne voit plus la réforme dans sa globalité. Le nombre d'expérimentations associées aux ordonnances risque d'occulter tout le débat et d'établir durablement des mesures pourtant annoncées comme provisoires » ;
  • Christiane Féral-Schuhl : « Nous demandons que les plates-formes numériques de médiation, prévues à l'article 3 du projet de loi, puissent faire l'objet d'une certification obligatoire » ;
  • Laurence Roques, présidente du Syndicat des avocats de France : « Jai du mal à imaginer qu'une telle dématérialisation ne se fasse pas au sein du service public de la justice mais soit transférée à des plates-formes privées, avec une labellisation facultative (…). Comment ne pas craindre que, d'ici quelques années, tout ne se trouve pas alors concentré entre les mains de ces derniers (les GAFA) ? » ;
  • Marie-Aimée Peyron : « La médiation obligatoire dénie le principe de la médiation » ;
  • Christiane Féral-Schuhl, « l'Assemblée nationale nous a envoyé un signal en encadrant les pouvoirs d'appréciation du directeur de la caisse d'allocations familiales (CAF) sur la revalorisation des pensions alimentaires, mais nous craignons l'absence de définition de ce qu'est un dossier complexe. Nous demandons donc la suppression de cet article qui n'a aucun sens et va compliquer le traitement des dossiers. Le directeur de la CAF n'a pas à se substituer au juge » ;
  • Laurence Roques : « Comment imaginer, outre le fait que la CAF serait juge et partie, de s'en remettre dorénavant à la seule barémisation ? » ;
  • Christiane Féral-Schuhl, « Sur la dématérialisation des procédures, l'article 13 prévoit que la procédure devant le tribunal de grande instance (TGI) peut se dérouler sans audience, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord (…). Si l'une des parties le demande, il faudrait prévoir que le tribunal tienne une audience sans laisser au juge cette faculté d'appréciation » ;
  • Jérôme Gavaudan, au sujet de la spécialisation des cours d'appel et des tribunaux de grande instance : « En matière civile, deux notions ont été introduites, la volumétrie et la technicité du contentieux, tant au niveau des cours d'appel que des juridictions de première instance, pour autoriser la spécialisation. La profession toute entière se bat pour aller au-delà et parler de « haute technicité » et de « faible volumétrie », pour ne prendre en compte concrètement que des contentieux de niche. Nous souhaitons vivement la mention de ces deux adjectifs pour que le pouvoir réglementaire soit encadré par la loi » ;
  • Marie-Aimée Peyron, bâtonnier du Barreau de Paris : « Il faut maintenir le droit en vigueur et conditionner la prolongation d'une garde à vue à la présentation au procureur de la République de la personne concernée » ;
  • Marie-Aimée Peyron : « nous appelons le Sénat à restreindre le recours aux perquisitions, géolocalisations et interceptions par voie de communication électronique aux infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement comme vous l'avez fait en première lecture. De même, à l'article 22, limitez le recours aux enquêtes sous pseudonyme aux infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement » ;
  • Me Laurence Roques : « l'injonction nationale dématérialisée sera une chambre d'enregistrement d'un certain nombre de créances. Même en prévoyant dix juges au sein du tribunal de grande instance à compétence nationale spécialement désigné, comment imaginer qu'avec 500 000 injonctions de payer en moyenne par an, la qualité des décisions rendues sera identique à celle d'aujourd'hui, alors que les juges territorialement compétents traitent beaucoup moins de dossiers ? ».
 
Les débats ont aussi mis l’accent sur le nombre important de décrets d'application nécessaires. Les intervenants ont donc demandé que la loi encadre davantage ces futurs décrets.
 
Des acteurs qui se sont déclarés favorables au rétablissement du texte du Sénat.
 
La garde des Sceaux a, de son côté, confirmé la volonté du Gouvernement de ne pas revenir sur les dispositions les plus contestées du texte adopté par l’Assemblée nationale, notamment la réforme par ordonnance de la justice des mineurs.
 
La position de la commission des lois du Sénat
La commission des lois a rétabli, pour l’essentiel, son texte de première lecture, tout en prenant en compte les observations des représentants des professions judiciaires (pour le détail des amendements adoptés, v. Sénat, Commission des lois, liste des amendements, 6 févr. 2019).
 
Par exemple, la commission des lois a finalement voté la suppression de l’article 6 sur l’expérimentation de la modification des pensions alimentaires par la CAF, alors qu’elle l’avait simplement amendé en première lecture (Sénat, amendement COM-121, 4 févr. 2019 : « Tenant compte des inquiétudes exprimées par l’ensemble des acteurs du monde judiciaire, malgré les garanties apportées au dispositif par le Sénat, le présent amendement propose de supprimer l’article 6 »).
 
« Même si le Gouvernement semble aujourd’hui encore fermé à toute évolution de sa réforme et n’est pas prêt à suspendre son examen pour ouvrir un réel dialogue avec le monde judiciaire, la commission a tenu à procéder à une nouvelle lecture utile, afin que nos collègues députés, dans le cadre de leur « dernier mot », puissent reprendre nos propositions de compromis, qui permettraient de sortir de l’impasse actuelle » a insisté Philippe Bas.
 
Prochaine étape, la séance publique, le mardi 12 février 2019.
Source : Actualités du droit