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Assassinat d’Anna Politkovskaïa : violation de l'article 2 de la CESDH par la Russie

Pénal - International, Procédure pénale
24/07/2018
Dans un arrêt rendu le 17 juillet 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme que, dans l'affaire de l'assassinat d’Anna Politkovskaïa, la Russie n’a pas mis en œuvre les mesures d’enquête appropriées pour en identifier le commanditaire.
Faute d’avoir examiné les allégations des requérants selon lesquelles des agents du FSB (les services secrets russes) ou de l’administration de la République tchétchène étaient impliqués dans l’assassinat de la journaliste d’investigation Anna Politkovskaïa, la Russie a manqué à son obligation de mener une enquête adéquate et prompte, ce qui a emporté violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH). Ainsi statue la CEDH, par cinq voix contre deux, dans un arrêt du 17 juillet 2018.

Anna Politkovskaïa était une journaliste d’investigation connue pour avoir enquêté sur des allégations de violations des droits de l’Homme en Tchétchénie et pour avoir à plusieurs reprises critiqué la politique du président russe Vladimir Poutine. Elle avait été retrouvée assassinée dans son immeuble à Moscou en 2006. Les requérants – sa mère, sa sœur et ses enfants– invoquaient le droit à la vie, protégé par l’article 2 de la CESDH, et soutenaient qu’en n'étant pas parvenues à identifier le commanditaire de l’assassinat de la journaliste, les autorités russes ne s’étaient pas acquittées de leur obligation de mener une enquête effective.

Pas d'enquête effective

La cour rappelle que l’une des obligations que la convention fait peser sur les États en cas d’homicide est de mener une enquête effective, indépendamment de l’implication ou non d’un agent de l’État. Le respect de cette exigence s’apprécie en tenant compte de différents facteurs comme l’adéquation des mesures d’investigation, la promptitude de l’enquête ou la participation des proches du défunt. En l’espèce, compte tenu de la profession de journaliste d'investigation d'Anna Politkovskaïa, les autorités devaient aussi rechercher s’il existait un lien entre l’assassinat de la journaliste et son travail.

La cour, après avoir rappelé que l'obligation procédurale prévue à l'article 2 de la Convention n'est pas une obligation de résultat, mais de moyens, note que l’enquête a effectivement conduit à des résultats, puisque cinq hommes ont été reconnus coupables du meurtre. Pour autant, elle note aussi qu’aucun effort n’a été fait pour en identifier le commanditaire. La théorie des autorités russes désignait un homme d’affaires russe résidant à Londres et qui était décédé, sans toutefois préciser les moyens mis en œuvre pour suivre cette piste, ni étudier d’autres hypothèses, dont celles des requérants, qui alléguaient que des agents du FSB ou de l’administration de la République tchétchène étaient impliqués.

La cour observe que le gouvernement n’a, en outre, pas justifié des raisons pour lesquelles l’enquête a duré presque dix ans.

Elle conclut donc que l’État russe a manqué à son obligation de mener une enquête adéquate et prompte, ce qui emporte violation du volet procédural de l’article 2.

Par Marie Le Guerroué
Source : Actualités du droit