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Projet de loi de programmation pour la Justice : les mesures relatives à la carte judiciaire

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
Pénal - Procédure pénale
15/03/2018
L’objet des mesures proposées aux articles 54 à 56 du projet de loi de programmation de la Justice 2018-2022 (PLPJ) ? « Renforcer l’efficacité de l’organisation judiciaire et d’adapter le fonctionnement des juridictions aux réformes de simplification des procédures engagées ». L’opportunité de faire le point sur le contenu du Titre VI du projet, relatif à l’organisation des juridictions.
Destinataire du projet de loi résultant des réflexions menées dans le cadre des Chantiers de la Justice, le Conseil National des Barreaux (CNB) dénonce « un texte inacceptable pour la profession ». Les mesures proposées concernent tant aux juridictions de première instance, pour tenir compte de la fusion des TI et des TGI, sans oublier l’expérimentation du ressort régional des juridictions d’appel.
 

PLPJ, Titre VI, Chap. Ier : « Améliorer l’efficacité en première instance »

 
L’essentiel : le TGI devient la seule juridiction compétente en matière civile en première instance ; possibilité d’avoir plusieurs TGI au sein d’un même département ; aucune fermeture de juridiction : le TGI peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres détachées, dénommées « tribunal d’instance ».
 
  • PLPJ, art. 54 – Procédure civile :

 
  • Fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance : suppression de la mention des tribunaux d’instance dans plusieurs dispositions du Code de l’organisation judiciaire (C. org. jud., art. L. 121-1, L. 121-3, L. 121-4, L. 123-1, L. 123-4, L. 215-1, L. 511-1, L. 531-2, L. 551-2 et L. 561-2) et abrogation des articles L. 221-1 à L. 223-8 du Code de l’organisation judiciaire (C. org. jud., Titre II du Livre II) ;
 
  • Transfert de compétences en matière de procédure européenne de règlement des petits litiges : création d’un article L. 211-4-2 du Code de l’organisation judiciaire, aux termes duquel « le tribunal de grande instance connaît des demandes formées en application du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges » ;
 
  • Abrogation de l’article L. 211-5 du Code de l’organisation judiciaire, qui prévoit la compétence du tribunal de grande instance pour connaître des recours contre les décisions du tribunal d'instance en matière de titres perdus ou volés ;
 
  • Possible spécialisation (civile et pénale) de certains TGI, spécialement désignés par décret, pour juger dans l’ensemble du département, « de certaines matières civiles et de certains délits ou contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État » : création de l’article L 211-9-3 du Code de l’organisation judiciaire, dont l’alinéa 2 prévoirait que pour la mise en œuvre de la spécialisation, le premier président de la cour d’appel et le procureur général près cette cour peuvent proposer la désignation de tribunaux de leur ressort, après avis des chefs de juridiction concernés ;
 
  • Principe de la collégialité en matière disciplinaire et d’état des personnes, sous réserve des compétences du JAF : ajout d’un alinéa 3 à l’article L. 212-1 du Code de l’organisation judiciaire, aux termes duquel « en matières disciplinaires ou relatives à l’état des personnes, sous réserve des dispositions particulières aux matières de la compétence du juge aux affaires familiales, le tribunal ne peut statuer à juge unique », et adaptation des règles relatives au renvoi : nouvelle rédaction de l’article L. 212-2 du Code de l’organisation judiciaire : « Lorsqu'une affaire, compte tenu de l'objet du litige ou de la nature des questions à juger, est portée devant le tribunal de grande instance statuant à juge unique, le renvoi à la formation collégiale peut être décidé, d’office ou à la demande des parties, dans les cas prévus par décret en Conseil d’État. Cette décision constitue une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours » ; (al. 2 abrogé) ;
 
  • Possible exercice exceptionnel des attributions du directeur des services de greffe (aujourd’hui) du tribunal d’instance, par un directeur des services de greffe du ressort de la cour d’appel ou, à défaut, par un greffier chef de greffe exerçant ses fonctions au sein du ressort du tribunal de grande instance concerné, par décision des chefs de cour, en matière de déclarations de nationalité (C. civ., art. 26, 26-1, 26-3 et 33-1), de certificats de nationalité française (C. civ., art. 31, 31-2, 31-3) et de vérification et d’approbation des comptes de gestion de la tutelle (C. civ., art. 511 et 512) : création de l’article L. 212-6-1 du Code de l’organisation judiciaire ;
 
  • Maintien de la carte judiciaire et absence de fermeture de juridiction : le TGI peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres dénommées "tribunal d’instance", dont les compétences matérielles sont fixées par décret. Des compétences supplémentaires peuvent leur être attribuées sur décision conjointe du président du TGI et du procureur de la République près ce tribunal (nouvel article L. 212-7 du Code de l’organisation judiciaire) ;
 
  • Juge des tutelles : rattachement au TGI (nouvel article L. 213-4-1 du Code de l’organisation judiciaire : « au sein du tribunal de grande instance, un ou plusieurs juges exercent les fonctions de juge des tutelles des majeurs »). Pas de modification de la compétence ratione materiae par rapport à l’actuel article L. 221-9 du Code de l’organisation judiciaire ;
 
  • Juge de l’exécution : ajout de deux alinéas à l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, pour prévoir la compétence du JEX en matière de traitement des situations de surendettement des particuliers et de la procédure de rétablissement personnel et de la saisie des rémunérations, à l’exception des demandes ou moyens de défense échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;
 
  • Droit local : création de 5 nouveaux articles dans la partie du Code de l’organisation judiciaire relative à l’organisation et au fonctionnement du TGI, en ce qui concerne les dispositions particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle :
    • le greffe du TGI, sous le contrôle du juge, tient les registres de publicité légale tenus au greffe du tribunal de commerce (nouvel article L. 215-3),
    • les fonctions de tribunal pour la navigation du Rhin et celle de tribunal de première instance pour la navigation de la Moselle sont exercées par un TGI spécialement désigné (nouvel article L. 215-4),
    • le service du livre foncier est assuré au sein du TGI selon les modalités fixées par décret (nouvel article L. 215-5),
    • compétence matérielle du TGI (nouveaux articles L. 215-6 et L. 215-7) : tutelles, administrations légales et curatelles de droit local ; partage judiciaire et vente judiciaire d’immeubles, des certificats d’héritiers et des scellés ; registres des associations et des associations coopératives de droit local ; saisie conservatoire (C. com., art. L. 511-51).
 
 
  • PLPJ, art. 54 - Procédure pénale

 
  • Coordination de la politique pénale en cas de pluralité de TGI dans le département : ajout d’un alinéa à l’article 39-1 du Code de procédure pénale, aux termes duquel « quand un département compte plusieurs tribunaux de grande instance, le procureur général peut confier un rôle de coordination dans la mise en œuvre de la politique pénale à l’un des procureurs de la République au sein du département » ;
 
  • Nombre de juges d’instruction en cas de pluralité de TGI dans le département :
    • Possibilité que certains TGI aient plusieurs juges d’instruction ou n’aient pas de juge d’instruction : insertion de deux nouveaux alinéas au début de l’article 52-1 du Code de procédure pénale, posant le principe selon lequel « il y a un ou plusieurs juges d’instruction dans chaque département » et prévoyant que « lorsqu’il existe plusieurs tribunaux de grande instance dans un département, un décret peut fixer la liste des tribunaux dans lesquels il n’y a pas de juge d’instruction. Ce décret précise quel est le tribunal de grande instance dont le ou les juges d’instruction sont compétents pour connaître des informations concernant les infractions relevant, en application de l’article 43, de la compétence du procureur de la République du tribunal dans lequel il n’y a pas de juge d’instruction »,
    • Compétence concurrente des procureurs de la République : nouvelle rédaction du III de l’article 80 du Code de procédure pénale : dans le cas précédent (en application de C. pr. pén., art. 52-1, al. 2 ou de C. pr. pén., art. 52-1, al. 4 et 5), le procureur près le TGI dans lequel il n’y a pas de juge d’instruction est compétent pour requérir l’ouverture d’une information devant le ou les juges d’instruction du TGI compétent(s), « y compris en faisant déférer devant eux les personnes concernées » (C. pr. pén., art. 80, III, al. 1er nouv.). Dans ces cas, le réquisitoire introductif pourra également être pris par le procureur près le TGI au sein duquel se trouve(nt) le ou les juges d’instruction. Ce magistrat sera seul compétent pour suivre le déroulement des instructions et leur règlement (C. pr. pén., art. 80, III, al. 3 nouv.) ; il sera aussi territorialement compétent sur l’ensemble du ressort du TGI « en matière d’information, y compris pour contrôler et diriger les enquêtes de police judiciaire » (C. pr. pén., art. 80, III, al. 2 nouv.),
    • Juridiction de jugement compétente : en cas de renvoi, le tribunal de police, le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfant ou la cour d’assises « initialement compétents » devront être saisis (C. pr. pén., art. 80, III, al. 4 nouv.),
    • Possibilité de requérir des mesures de sûreté : si le procureur près le TGI dans lequel il y a un ou plusieurs juge(s) d’instruction ou dans lequel il y a un pôle de l’instruction, constate qu’une personne est déférée devant lui en vue de l’ouverture d’une information en application du 2e alinéa du II (cosaisine en matière criminelle) ou du 2e alinéa du III (nouv.) de l’article 80 et qu’il estime qu’aucune instruction n’est nécessaire ou qu’elle ne relève pas de la compétence du pôle, il peut, avant de transmettre le dossier au procureur territorialement compétent, requérir le placement sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire de la personne (C. pr. pén., art.  art. 394, al. 3 et C. pr. pén., art. 396). La personne placée en détention provisoire doit alors comparaître devant le procureur compétent au plus tard le 3e jour ouvrable suivant ; à défaut, elle est remise d’office en liberté (C. pr. pén., art. 80, IV, nouv.) ;
 
  • Au moins un JAP par département : un ou plusieurs magistrats du siège sont chargés des fonctions du juge d’application des peines (JAP) dans les TGI dont la liste est fixée par décret. Il existe au moins un JAP par département (nouvelle rédaction de l’alinéa 1er de l’article 712-2 du Code de procédure pénale).

 
 

PLPJ, Titre VI, Chap. 2 : « Améliorer l’efficacité en appel »

 

L’essentiel : pas de cours d’appel régionales, mais expérimentation de l’animation et de la coordination des politiques juridictionnelles sur ce ressort territorial, ainsi que de la possibilité de spécialisation de certaines cours en matière civile.

 

PLPJ, art. 55 :

  • Animation et coordination régionales des politiques juridictionnelles : dans le respect de l’indépendance juridictionnelle, les premiers présidents de cour d’appel et les procureurs généraux près ces cours assurent des fonctions d’animation et de coordination sur un ressort pouvant s’étendre à celui de plusieurs cour d’appel au sein d’une même région ;
 
  • Spécialisation de certaines cours d’appel en matière civile : des cours peuvent être spécialement désignées par décret pour connaître, dans le ressort de ces juridictions, certaines matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État ;
 
  • Expérimentation : ces mesures seraient instaurées pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi de programmation et dans deux régions. Un décret prévoirait les cours d’appels concernées et les magistrats exerçant les fonctions d’animation et de coordination.

 
 

PLPJ, Titre VI, Chap. 3 : « Dispositions diverses »

 

L’essentiel : habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation de la loi de programmation, avec projet de loi de ratification déposé devant le Parlement dans un délai de 6 mois à compter de la publication de l’ordonnance.

 
PLPJ, art. 56 : Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi, nécessaires pour prendre en compte, dans les codes et textes en vigueur, notamment la disparition des tribunaux d’instance en tant que juridictions autonomes :

  • Tirer les conséquences de la substitution du TGI à l’actuel système des TI et des TGI (Métropole, Saint-Pierre-et-Miquelon, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna) ;
 
  • Créer, aménager ou modifier les dispositions en vigueur relatives « à l’institution, la compétence, l’organisation, le fonctionnement et les règles de procédure de toute juridiction » ;
 
  • Tirer les conséquences de la possible spécialisation de certains TGI (compétence matérielle) ;
 
  • Adapter les dispositions régissant les professions judiciaires et juridiques réglementées à la fusion des TGI/TI et à la spécialisation des cours d’appel ;
 
  • « Mettre en cohérence l’ensemble de la législation applicable avec les dispositions résultant de la présente loi en apportant les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, en harmonisant l’état du droit, en remédiant aux éventuelles erreurs et omissions résultant de la présente loi, et en abrogeant les dispositions devenues sans objet ».

Le PLPJ devrait être présenté au 1er semestre 2018 et l'ensemble de ces dispositions entrerait en vigueur un an après la promulgation de loi (PLJP, art. 57, IX).
Source : Actualités du droit