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De la liberté pour le fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective d’interdire la commercialisation de ses produits sur une marketplace

Affaires - Droit économique
21/09/2017
Par un arrêt du 13 septembre 2017, la Cour de cassation a énoncé qu’un fournisseur à la tête d’un réseau de distribution sélective pouvait légitimement interdire la commercialisation de ses produits sur une marketplace. Décryptage par Hugues Villey Desmeserets, associé et François Dauba, collaborateur du cabinet BCTG Avocat.
L’affaire opposait la société Caudalie, fabricant de produits cosmétiques à la tête d’un réseau de distribution sélective composé de pharmacies agréées, à la plateforme de vente en ligne 1001 Pharmacies (détenue par la société eNova Santé).

Pour rappel, à la fin de l’année 2014, la société Caudalie avait assigné la société eNova Santé en référé devant le Tribunal de commerce de Paris, invoquant un trouble manifestement illicite résultant de la vente de ses produits sur la plateforme de vente en ligne 1001 Pharmacies. La société Caudalie considérait en effet que la vente de ses produits sur cette plateforme non-agréée constituait une violation de son réseau de distribution sélective (article L.442-6-I-6° du Code de commerce).

Le 31 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris avait enjoint à la société eNova Santé de cesser toute commercialisation des gammes de produits de marque Caudalie et de supprimer toute référence à ces produits sur le site internet « http://www.1001pharmacies.com » dans les 30 jours de la signification de la présente ordonnance, de supprimer tout référencement et tout lien avec d’autres sites renvoyant vers son serveur et faisant référence aux gammes de produits de marque Caudalie et de supprimer toutes les reproductions de photographies et de descriptifs appartenant à la société Caudalie sur le site Internet.

Le 2 février 2016, Cour d’appel avait toutefois estimé qu’il n’y avait pas lieu à référé au motif qu’il existait un faisceau d’indices sérieux et concordants tendant à établir que l’interdiction faite par Caudalie à ses distributeurs de commercialiser ses produits sur des plateformes de vente en ligne était susceptible de constituer une restriction de concurrence caractérisée privant le trouble allégué par Caudalie de tout caractère manifestement illicite.

Le 13 septembre 2017, la Cour de cassation a décidé de casser et d’annuler cet arrêt au motif que la Cour d’appel de Paris n’a pas « expliqué en quoi les décisions auxquelles elle se référait étaient de nature à écarter l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant de l’atteinte au réseau de distribution sélection de la société Caudalie, dont la licéité avait été admise par la décision n°07-D-07 du 8 mars 2007 du Conseil de la concurrence, qui n’avait pas fait l’objet de révision ».

La société Caudalie est donc bien fondé à réclamer le retrait de ses produits sur la plateforme de vente en ligne 1001 Pharmacies.
Cette décision est importante à plusieurs titres :
  • cette décision s’inscrit dans le cadre des récents contentieux et consultations publiques qui ont donné lieu à des débats juridiques animés, au niveau français et communautaire, autour de la licéité des clauses interdisant à des détaillants agréés de vendre des produits sélectifs sur des marketplaces.
Depuis quelques mois, une prise de position en faveur des fournisseurs à la tête de réseaux de distribution sélective semble se dégager. La Commission européenne dans son rapport final sur le commerce électronique et l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Coty ont en effet récemment conclu à la licéité – sous certaines conditions – des clauses restreignant les ventes sur les marketplaces.
La Cour de cassation s’est donc positionnée dans le sens de la Commission et de l’avocat général de la CJUE, sans attendre la décision de cette dernière.
  • cette décision vient rappeler le rôle du juge des référés. Celui-ci n’a pas autorité pour remettre en question une décision du Conseil de la concurrence qui a reconnu la licéité de l’interdiction des ventes sur les plateformes de vente en ligne. Le juge des référés est ainsi lié par l’autorité de la chose décidée par le juge de la concurrence.
  • enfin, le juge des référés ne peut prétendre réviser l’état actuel du droit sur la base d’un faisceau d’indices qui attesteraient seulement de l’existence d’une discussion sur une possible modification à venir du droit. Il en va de la préservation de la sécurité juridique à laquelle toute partie est en droit de se référer.
Cette décision est d’autant plus clairvoyante que le faisceau d’indices sur lequel se fondait la Cour d’appel de Paris a depuis été largement remis en question, tant par la Commission européenne dans son rapport final relatif à l’enquête sectorielle sur le commerce électronique, que par l’avocat général dans ses conclusions dans le cadre de l’affaire Coty.
 
 
Source : Actualités du droit